Trois couleurs pour de nouveaux horizons
L’association Trois couleurs embarque régulièrement des groupes de jeunes pris en charge par la Protection Judiciaire de la Jeunesse ou issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il s’agit d’aider ces jeunes, qui ont pris quelque distance avec la loi ou la société, à reprendre leur vie en main en mettant le cap vers de nouveaux horizons.
Faire naviguer des jeunes sous main de justice, pour les transformer et les aider à se réinsérer, c’est le pari audacieux que s’est fixée l’association Trois couleurs. Créée en 2022, elle s’inspire de l’expérience vécue par ses cofondateurs lorsqu’ils étaient jeunes officiers dans la Marine nationale. « Nous accueillions à l’époque des jeunes qui faisaient leur service militaire, ils manquaient souvent de perspectives et venaient de milieu précaire. Mais on s’est aperçu qu’au bout de quelques semaines à bord, leur comportement changeait », témoigne Lucas Rosoor, secrétaire général de l’association. « Sur un bateau, c’est l’esprit d’équipage et la mission qui tirent tout le monde vers le haut ; c’est quelque chose qu’il faut vivre pour le comprendre », précise Jean-Marie Lucas, délégué général de la SMLH et président de Trois couleurs.
Cette expérience anime les cofondateurs de l’association lorsqu’ils échangent sur les problèmes que connaissent la jeunesse des quartiers dits « sensibles ». « J’ai été frappé de voir que les amis de mon fils, une fois entrés au collège, commençaient à mal tourner. J’avais envie de faire un jour quelque chose pour les aider à reprendre leur vie en main », confie Lucas Rosoor.
L’association acquiert alors un ketch, voilier deux-mâts de 27 mètres et prend contact avec la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour proposer des séjours en mer aux jeunes qu’elle accompagne, adolescents, condamnés et placés en Centre éducatif renforcé (CER). Elle se rapproche aussi du ministère des Armées et obtient, sans surprise, le soutien de la Marine nationale qui lui offre abri dans ses ports en cas de besoin. Tout est prêt pour enchaîner les sorties en mer.
« Je suis persuadé que si on redonne des valeurs et confiance en eux à ces adolescents, leurs parcours seront impactés, ce sera bien pour eux mais aussi pour la société ».Régis Dexant
Des séjours de rupture de 7 à 10 jours
Des séjours de rupture de 7 à 10 jours
La première sortie a lieu en mars 2023, durant dix jours, au profit de six jeunes d’un CER breton, accompagnés de deux de leurs éducateurs et de cinq bénévoles de l’association composant l’équipage en titre du bateau.
La seconde, s’est déroulée au profit de sept jeunes d’un CER de Gironde, en septembre 2023, durant sept jours. « Deux semaines avant, nous avions passé trois jours en immersion avec eux dans leur centre d’éducation, tant il est capital de se connaître et de préparer en amont cette mission », précise Jean-Marie Lucas. L’occasion également de présenter le projet et d’expliquer à ces jeunes les quelques rudiments de la vie en mer. « Nous accompagnons ces jeunes, âgés de 13 à 17 ans, lors de séjours dits « de rupture » comme celui-ci, pour les extraire de leur environnement habituel et leur faire découvrir d’autres univers », explique Éric Laronde, éducateur technique spécialisé au CER La Grange Neuve de Castelviel, qui a embarqué avec deux autres éducateurs pour accompagner le séjour des jeunes sur le voilier.
Celui-ci n’est d’ailleurs pas de tout repos. « Nous avons fait le choix d’un bateau un peu délicat à faire naviguer qui a besoin de 12 personnes pour fonctionner 24 h/24 h. Chacun doit donc participer et sa mission est essentielle. Chaque personne embarquée est le maillon indissociable d’une chaine humaine. Le cadre est rigoureux, le moindre retard à la prise de fonction a des impacts
sur le fonctionnement et l’équilibre de l’équipage », explique le capitaine Lucas Rosoor. La journée comme la nuit, tout le monde doit « assurer son quart » de 4 heures à tour de rôle, sous la responsabilité d’un chef de quart qui dirige le bateau.
Un rythme exigeant mais bénéfique
Un rythme exigeant mais bénéfique
Les journées sont structurées de manière similaire : petit-déjeuner à 7 h 10, entretien du bateau (nettoyage, peinture, vidange...), formation (matelotage, navigation, géographie...), déjeuner, sieste jusqu’à 15 heures puis exercices de mises en situation (manœuvres de voile, de zodiac...), dîner à 19 heures.
L’un des membres reste hors quart pendant 24 h pour gérer le quotidien (nourrir l’équipage, etc.). Ce rythme exigeant est bénéfique. « Ces jeunes manquent de repères, les recherchent et n’ont construit que des rapports négatifs avec les adultes et les institutions, qui les ont déçus. En leur confiant des responsabilités, on voit leur regard sur l’autre évoluer », constate sans surprise Lucas Rosoor.
Un avis partagé par l’éducateur Éric Laronde : « le respect et l’humilité sont des piliers de la vie en mer : il y a une discipline quasi militaire, des horaires à respecter, on compte les uns sur les autres... À bord, les éducateurs assurent les mêmes tâches que les jeunes et il est ainsi possible de nouer une relation différente. On essaie de les mettre en situation de réussite, pour qu’ils retrouvent l’estime d’eux-mêmes. »
« Aucun de ces jeunes n’avait vu la mer, mais on a trouvé chez chacun des points d’excellence, l’un d’entre eux, à peine âgé de 14 ans, était par exemple très doué pour les nœuds marins. » Lucas Rosoor
Ces changements de comportements ont des effets à court et moyen terme. Cette expérience a même permis à l’un d’entre eux de décider de postuler pour intégrer une école de la Marine nationale. « Lors du premier séjour, l’un des jeunes a affiché de l’intérêt pour le métier de mécanicien motoriste, il a pu être embauché comme apprenti par un de nos prestataires extérieurs. Un autre jeune a repris ses études en 3e, tandis qu’un troisième a commencé un stage dans une boulangerie », rapporte Lucas Rosoor.
Des centres éducatifs renforcés aux quartiers prioritaires
Des centres éducatifs renforcés aux quartiers prioritaires
Ces premiers succès ont incité les responsables de l’association Trois couleurs à élargir le champ de son action, en ciblant aussi les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Des sorties en mer sont ainsi désormais organisées avec des jeunes de Nanterre dans les Hauts-de-Seine (92) et des Yvelines (78), en partenariat avec les préfets délégués pour l’égalité des chances. Et cela va faire tache d’huile !
En octobre 2023, un premier séjour de ce type est organisé au profit de six jeunes de Nanterre, dans un contexte très particulier. « Nous savions pertinemment que certains avaient participé aux émeutes de la veille qui secouaient toutes les villes de France, mais cela ne les a pas empêchés de revenir le lendemain vers nous. Aucun d’entre eux n’avait vu la mer, mais on a identifié chez chacun des points d’excellence. L’un d’entre eux, à peine âgé de 14 ans, était par exemple très doué pour les nœuds marins », raconte Lucas Rosoor.
Forte de ces premières expérimentations, l’association compte bien se développer.
« Nous aspirons à la transformer en lieu de vie et d’accueil ou LVA, une structure nous permettant d’accueillir des jeunes durant plusieurs mois, car c’est bien sur le temps long que l’on reconstruit ces jeunes », espère Jean-Marie Lucas.
Régis Dexant, administrateur de l’association Trois couleurs, en charge de la recherche des fonds indispensables à la réalisation des différents projets, témoigne : « En tant qu’avocat, je suis sensibilisé au problème des adolescents qui sombrent dans la délinquance. Je suis persuadé que si on leur redonne des valeurs et confiance en eux, leurs parcours seront impactés, ce sera bien pour eux mais aussi pour la société », souligne-t-il.
Trois couleurs est également en quête permanente de mécènes et de subventions pour entretenir son bateau et l’équiper pour lui permettre de proposer ces séjours plus longs permettant ainsi d’aller plus loin mais aussi d’avoir plus d’impact sur la reconstruction de ces jeunes.
À long terme, l’association espère pouvoir accompagner les jeunes dans leur réinsertion en passant des accords avec des entreprises pour les embaucher.
Il y a quelques jours, les responsables de Trois couleurs recevaient un très émouvant témoignage d’un des jeunes embarqué lors de la première mission, il y a un an. Il y remerciait l’association et racontait qu’il s’était reconstruit grâce à ce séjour en mer, avait acheté son petit voilier et se lançait sur les flots de l’Atlantique. Il n'y a pas de meilleure récompense pour Trois couleurs et quel encouragement de rester pavillon haut !
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